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Le temps a passé.

Dois-je m’excuser pour ces trous, une année ici, une autre là ? Après tout, l’histoire n’est pas linéaire, elle s’écoule en hauts-fonds et en passages étroits, en bayous et en baies. (Sans oublier les courants traîtres et les tourbillons cachés.) Et relater ce qu’on a vécu est aussi une espèce d’histoire.

Mais cela dépend sans doute de pour qui j’écris, ce que je n’ai toujours pas déterminé. À qui suis-je en train de m’adresser ? À ma génération, dont tant sont morts ou vont mourir sous peu ? À nos descendants, qui n’ont pas forcément vécu ces événements, mais les ont étudiés à l’école ? Ou à une génération plus lointaine d’hommes et de femmes qu’on aurait autorisée, plaise à Dieu et si impossible que cela paraisse, à oublier une petite partie de ce qu’a connu ce siècle ?

En d’autres termes, jusqu’où dois-je expliquer, quel niveau de détails dois-je donner ?

Mais la question est purement rhétorique.

En réalité, nous ne sommes que deux, ici.

Moi. Et vous. Qui que vous soyez.

 

Près de cinq ans se sont écoulés entre ma visite au parc avec Kaitlin et le jour où Arnie Kunderson m’a convoqué dans son bureau alors que je testais un tri de lots – et il se peut que cette convocation constitue le tournant suivant de ma vie, du moins si vous croyez que la causalité est linéaire et que l’avenir tient poliment compte du passé. Mais sentez d’abord le goût de ces années : imaginez-les, si vous les avez oubliées.

Cinq étés, des étés chauds à l’actualité (entre les événements de Kuin) dominée par la nappe aquifère d’Oglalla, en cours d’épuisement. Le Nouveau-Mexique et le Texas avaient déjà perdu presque toute capacité à irriguer leurs terres sèches. La nappe aquifère d’Oglalla, un plan d’eau souterrain de la taille du lac Huron hérité du dernier âge glaciaire, demeurait vitale pour l’agriculture du Nebraska, du Kansas, de l’Oklahoma et de certaines parties du Wyoming comme du Colorado… Et elle continuait à baisser, aspirée toujours plus profond par des pompes centrifuges d’une efficacité implacable. Les journaux télévisés diffusaient à satiété d’âpres images d’exode rural : des familles à bord de camions de transport délabrés échoués sur l’autoroute, leurs enfants maussades avec des web-joueurs qui se bouchaient les oreilles et se masquaient les yeux. Des files d’attente d’hommes et de femmes cherchant du travail à Los Angeles ou Détroit, les sombres dessous de notre économie florissante. La plupart d’entre nous ayant un emploi, nous nous accordions le luxe de la pitié.

Cinq hivers. Pour nous, ils ont été froids et secs. Les nantis portaient les premiers vêtements à adaptation thermique, donnant aux quartiers commerciaux les plus chics l’air d’avoir été envahis par des extraterrestres en respirateurs et joggings de polyester. Le reste d’entre nous descendait précipitamment les rues en parkas volumineuses ou s’éloignait le moins possible des passerelles reliant les immeubles. On voyait un nombre croissant de robots domestiques (aspirateurs autoguidés, tondeuses à gazon assez intelligentes pour ne pas estropier les enfants du quartier) ; le promeneur de chiens Sony était retiré du marché après un accident très médiatisé impliquant un lampadaire défectueux et une paire de Shi Tzus. Au cours de ces années-là, même les personnes âgées ont cessé d’appeler « télévisions » leurs panneaux de divertissement. Lux Ebone a annoncé, deux fois, qu’elle prenait sa retraite. Cletus King a battu la présidente sortante Marylin Leahy, offrant ainsi la Maison-Blanche au Parti fédéral, même si la majorité du Congrès restait démocrate.

Sombrées depuis dans l’oubli général, les accroches publicitaires à la mode étaient : « Maintenant donne-moi le mien », « Brutal, mais sympa ! » et « Comme le jour dans un tiroir ».

Les noms et lieux que nous trouvions importants : le Dr Dan Lesser, le palais de justice Wheeling, Beckett et Goldstein, Kwame Finto.

Événements : la seconde vague d’alunissages, la pandémie au Zaïre, la crise monétaire européenne et la prise d’assaut de La Haye.

Et Kuin, bien sûr, comme un battement de tambour allant crescendo.

Pyongyang, puis Hô Chi Minh-Ville, et en fin de compte Macao, Sapporo, la plaine du Kantô, Yichang…

Et toutes les premières fascinations, la « Kuin-mania », les dix mille sources web aux théories bizarres et contradictoires, l’incessant bouillonnement de la presse spécialisée dans l’insolite, les symposiums et les rapports de commissions, les groupes d’experts et les enquêtes parlementaires. Le jeune homme de Los Angeles qui a officiellement changé son nom en « Kuin » et tous ceux qui l’ont imité.

Kuin, qui ou quoi qu’il puisse être, avait déjà causé la mort de milliers de personnes. Son nom était par conséquent prononcé avec gravité dans les cercles respectables, et devenait populaire parmi les humoristes et les concepteurs de T-shirts. Certaines écoles ont interdit l’imagerie « kuiniste » dans leurs locaux, provoquant l’intervention de la Ligue américaine des droits du citoyen. Comme on ne voyait pas ce qu’il représentait d’autre que la destruction et la conquête, Kuin devenait une ardoise sur laquelle les mécontents griffonnaient leurs revendications. En Amérique du Nord, on ne prenait pas véritablement tout cela au sérieux. Ailleurs, le grondement du séisme se montrait plus inquiétant.

 

J’ai suivi tout cela de très près.

J’ai travaillé pendant deux ans dans l’établissement de recherche de Campion-Miller, à l’extérieur de Saint Paul, où je retouchais du code autodéveloppé d’interface commerciale. On m’a ensuite muté dans les bureaux en ville où j’ai intégré une équipe effectuant à peu près le même genre de travail, mais sur un matériau beaucoup plus sécurisé, le code source de Campion-Miller lui-même, un code très surveillé sur lequel tous nos principaux produits étaient basés. En général, j’allais au bureau en voiture, mais au plus fort de l’hiver je prenais le nouveau métro aérien, une chambre en aluminium dans laquelle trop de banlieusards déversaient leur chaleur et leur humidité, mélangeaient leurs odeurs corporelles et leurs après-rasage, avec la ville en une vague toile de fond pâle sur les fenêtres d’un blanc fumant.

(C’est au cours d’un de ces trajets que j’ai vu, assise au milieu du wagon, une jeune femme avec un chapeau portant l’inscription « VINGT ET TROIS » – vingt ans et trois mois, l’intervalle nominal entre l’apparition du Chronolithe et la conquête qu’il prédisait. Elle lisait un exemplaire déglingué de Stranger Than Science, dont le tirage devait être épuisé depuis bien soixante ans. J’ai eu envie de l’aborder, de lui demander comment elle s’était ainsi retrouvée en possession de ces totems, de ces échos de mon passé, mais ma timidité l’a emporté, et de toute façon, de quelle manière aurais-je pu poser une question comme celle-là ? Je ne l’ai jamais revue.)

J’ai eu plusieurs aventures. Je suis sorti pendant presque un an avec Annali Kincaid, qui travaillait à la division contrôle qualité de Campion-Miller, adorait la couleur turquoise et le Nouveau Drame, et s’intéressait beaucoup à ce qu’il se passait dans le monde. Elle m’a traîné à des conférences et à des exposés auxquels je n’aurais prêté aucune attention sans elle. Nous avons fini par rompre, parce qu’elle avait des convictions politiques profondes et complexes alors que je n’en avais aucune. Politiquement, à part au sujet de Kuin, j’étais agnostique.

J’ai quand même eu au moins une occasion de l’impressionner. Elle avait utilisé les références d’une personne de Campion-Miller pour nous permettre d’assister à une conférence universitaire : « Les Chronolithes : problèmes scientifiques et culturels. » (Mon idée autant que la sienne, en l’occurrence. Voire plutôt la mienne. Annali n’avait déjà pas apprécié que j’aie décoré ma chambre avec des photographies aériennes et orbitales des Chronolithes, ni que des téléchargements kuinistes jonchent mon appartement.) Nous venions de passer l’essentiel d’un agréable samedi après-midi à suivre trois exposés lorsque Annali a annoncé qu’elle trouvait cela un peu trop abstrait. Mais alors que nous traversions le hall, une femme m’a hélé. Une femme plus âgée que moi, qui portait un jean ample et un pull vert pomme trop grand pour elle, et me fixait de derrière de monstrueuses lunettes.

Elle s’appelait Sulamith Chopra. J’avais fait sa connaissance à l’université Cornell. Sa carrière l’avait amenée à s’impliquer complètement dans la partie physique fondamentale des recherches sur les Chronolithes.

J’ai présenté Sue à Annali.

Annali en a été abasourdie. « Madame Chopra, j’ai entendu parler de vous. La presse cite souvent votre nom.

— Eh bien, j’ai accompli quelques petites choses.

— Je suis ravie de faire votre connaissance.

— Moi de même ». Mais Sue ne m’avait pas quitté des yeux.

« Curieux que ce soit sur toi que je tombe ici, Scotty.

— Vraiment ?

— Inattendu. Significatif, peut-être. Ou peut-être pas. Il faudrait qu’on reprenne contact, un de ces jours. »

Cela m’a flatté. J’avais très envie de discuter avec elle. Je lui ai tendu d’un geste pitoyable ma carte de visite professionnelle.

« Inutile, a-t-elle décrété. Je saurais te retrouver en cas de besoin, Scotty, ne te fais pas de souci.

— Vraiment ? »

Mais déjà elle se fondait dans la foule.

« Je vois que tu connais du beau monde », m’a dit Annali pendant que nous rentrions en voiture.

C’était inexact. (Sue ne m’a pas appelé – pas cette année-là – et aucune de mes tentatives pour la joindre n’a abouti.) Je connaissais des gens, pas forcément ceux qui comptaient, mais pas n’importe lesquels non plus. Tomber sur Sue Chopra était un présage, comme cette femme dans le métro aérien, mais un présage dont la signification restait obscure, une prophétie proférée dans une langue indéchiffrable, un signal perdu dans du bruit.

 

Être convoqué dans le bureau d’Amie Kunderson n’augurait jamais rien de bon. Je l’avais comme superviseur depuis que je travaillais chez Campion-Miller, et j’avais largement eu le temps de remarquer qu’il se déplaçait pour vous annoncer une bonne nouvelle. Quand il vous convoquait dans son bureau, mieux valait s’attendre au pire.

Arnie s’était énervé très récemment, quand l’équipe placée sous ma responsabilité avait bousillé un protocole de tri et d’expédition de commandes, manquant nous faire perdre un contrat avec un détaillant d’envergure nationale. Mais j’ai su que c’était encore plus grave dès que je suis entré dans son bureau, car quand Arnie se mettait en colère, il gesticulait et devenait tout rouge. Or, ce jour-là, c’était pire : il restait assis à son bureau avec l’expression fuyante d’un homme chargé d’une mission répugnante mais nécessaire – l’expression d’un croque-mort, par exemple. Il évitait mon regard.

J’ai approché une chaise et attendu. Nos relations n’avaient rien de formel. Chacun de nous s’était rendu aux barbecues de l’autre.

Il a joint les mains. « Il n’y a pas de bonne manière de faire ça. Scott, je suis chargé de t’informer que Campion-Miller ne renouvelle pas ton contrat. Nous l’annulons. Je te le notifie officiellement. Je sais que cela vient sans aucun avertissement et Dieu sait que ça me fait vraiment chier de te l’assener comme ça. Tu as le droit à la totalité de l’indemnité de départ ainsi qu’à une compensation généreuse pour les six mois qui restaient à courir. »

Cela ne m’a pas autant surpris qu’il semblait s’y attendre. L’effondrement économique de l’Asie avait creusé un gros trou dans la clientèle étrangère de Campion-Miller. Rien que l’année précédente, la compagnie avait été rachetée par une multinationale dont la direction avait licencié un quart du personnel et revendu la plupart des filiales pour profiter de leur valeur immobilière.

Ce qui ne m’empêchait de me sentir pris en traître.

Le chômage augmentait, cette année-là. La crise d’Oglalla et l’effondrement des économies asiatiques avaient jeté beaucoup de monde sur le marché du travail. Un village de tentes se dressait à quatre pâtés de maisons de là, au bord de la rivière. Je me suis imaginé là-bas.

« Tu l’annonceras toi-même à l’équipe, ou tu veux que je m’en charge ? » ai-je demandé.

Mon équipe travaillait sur un logiciel de prévision du marché, l’un des produits les plus lucratifs de Campion-Miller. Plus précisément, nous factorisions de l’aléatoire et du pseudoaléatoire dans des applications servant à établir des tendances de consommation ou des prix compétitifs.

Demandez à un ordinateur de choisir au hasard deux chiffres entre un et dix, et la machine vous fournira une séquence vraiment aléatoire : par exemple 2 et 3, ou 1 et 9, etc. Alors qu’en reportant sur un graphe les réponses d’un échantillon conséquent d’êtres humains à la même question, vous obtiendrez une courbe de distribution avec de gros pics à 3 et 7. Quand les gens pensent au « hasard », ils ont tendance à se représenter des chiffres que l’on pourrait appeler « discrets » : ni trop près des limites, ni au milieu, ni appartenant à une séquence prédéterminée (2, 4, 6), etc.

Autrement dit, il existe ce qu’on pourrait appeler un aléatoire intuitif qui diffère radicalement de l’aléatoire authentique.

Pouvait-on tirer avantage de cette différence dans des applications commerciales de grand volume, tels que portefeuilles d’actions, marketing ou détermination du prix des produits ?

Nous pensions que oui. Nous avions progressé. Le travail avançait assez bien pour que l’annonce d’Arnie semble intervenir à un moment (pour le moins) curieux.

Il s’est éclairci la gorge. « Tu m’as mal compris. L’équipe ne s’en va pas.

— Pardon ?

— Ce n’est pas moi qui ai pris la décision, Scott.

— Tu l’as déjà dit. OK, ce n’est pas ta faute. Mais puisque le projet avance…

— Ne me demande pas de justifications. Franchement, je suis incapable de t’en fournir. »

Il a laissé ses paroles faire leur effet.

« Cinq ans, ai-je lâché. Merde, Arnie ! Cinq ans !

— Rien n’est garanti. C’est fini, ce temps-là. Tu le sais aussi bien que moi.

— Ça passerait sans doute mieux si je comprenais pourquoi. »

Il s’est tortillé dans son fauteuil.

« Je ne suis pas autorisé à te le dire. Je suis très content de ton travail, et je suis prêt à le mettre par écrit.

— Je me suis fait un ennemi à la direction, c’est ça ? »

Il a failli hocher la tête. « Le travail que nous faisons ici est surveillé de très, très près. Certaines personnes deviennent nerveuses. Je ne sais pas au juste si tu t’es fait un ennemi. Peut-être plutôt les amis qu’il ne fallait pas. »

 

J’en doutais : je ne m’en étais pas fait beaucoup.

Des gens avec qui partager un repas ou assister à un match des Twins, oui, j’en connaissais. Mais personne sur qui je pouvais compter. D’une façon ou d’une autre, par un lent processus d’attrition émotionnelle, j’étais devenu le genre de type qui bossait dur, souriait avec affabilité et rentrait chez lui passer la soirée en buvant quelques bières devant son panneau vidéo.

C’est d’ailleurs de cette manière que je l’ai passée, le jour où Arnie Kunderson m’a viré.

L’appartement n’avait pas beaucoup changé depuis que j’y avais emménagé (excepté un des murs de la chambre dont je me servais comme tableau d’affichage pour des articles de presse, pour des photos des sites des Chronolithes et pour mes abondantes notes sur le sujet). Les rares améliorations étaient presque toutes dues à Kaitlin. Elle avait alors dix ans et se plaisait à critiquer mes goûts en matière de mode, sans doute pour se donner l’impression de grandir. J’avais fini par remplacer le canapé à force d’entendre Kait répéter à quel point il était « inactuel » (son mot de dérision favori).

Bref, mon vieux canapé avait cédé la place à une banquette capitonnée d’un bleu austère qui avait l’air géniale tant qu’on ne tentait pas de s’y installer confortablement.

J’ai songé à appeler Janice, mais j’ai décidé de m’en abstenir. Janice n’appréciait pas les coups de fil spontanés. Elle préférait avoir de mes nouvelles selon un planning régulier et prévisible. Quant à Kaitlin… mieux valait ne pas la déranger non plus. Sinon, elle serait capable de se lancer dans un compte rendu détaillé de ce qu’elle avait fait ce jour-là avec Whit, comme on l’encourageait à appeler son beau-père. Whit était génial, selon elle. Whit la faisait rire. Je devrais peut-être parler à Whit, me suis-je dit. Peut-être qu’il me ferait rire aussi.

Et donc, ce soir-là, je n’ai fait que téter quelques bières en naviguant d’un satellite à l’autre.

Même les bouquets bon marché incluaient des chaînes « nature et sciences ». L’une d’elles proposait des images récentes de la Thaïlande, celles d’un reportage vidéo sur une expédition véritablement dangereuse qui cherchait à atteindre les ruines de Bangkok en remontant le Chao Phraya. La National Géographie Society et une demi-douzaine d’autres compagnies dont le générique de début mettait les logos bien en évidence sponsorisaient ladite expédition.

J’ai coupé le son pour laisser les images parler d’elles-mêmes.

On avait très peu reconstruit le cœur urbain de Bangkok depuis 2021. Personne ne voulait vivre ou travailler au voisinage du Chronolithe – des rumeurs de « maladie de proximité » effrayaient la population, malgré l’absence de tout diagnostic en ce sens dans la littérature médicale. Bandits et milices révolutionnaires étaient par contre omniprésents. Tout cela n’empêchait pas le commerce fluvial de prospérer le long du Chao Phraya, y compris à l’ombre de Kuin.

Le programme débutait par une prise de vue aérienne de la ville. De grossiers docks bancals permettaient d’accéder à des entrepôts sommaires, à un marché, à des stocks de fruits et de légumes frais, l’ordre émergeant du chaos, des rues regagnées sur les ruines et ouvertes au commerce. En prenant suffisamment d’altitude, on aurait cru à une illustration de la manière dont l’homme reprend le dessus après un désastre. Vu du sol, l’impression se révélait moins flatteuse.

Lorsque l’expédition s’est approchée du cœur de la cité, le Chronolithe a commencé à apparaître dans chaque plan : de loin, dominant le fleuve, ou de près, imposant dans la mi-journée tropicale.

Le monument était d’une propreté ahurissante. Les oiseaux et les insectes eux-mêmes l’évitaient. De la poussière charriée par le vent s’était accumulée dans les quelques crevasses protégées du visage sculpté, adoucissant légèrement le regard préoccupé de Kuin. Mais rien n’y poussait, même dans cette terre abritée : elle était d’une stérilité absolue. Sur l’une des berges, là où l’énorme base octogonale du monument coupait le sol, quelques lianes avaient bien tenté l’escalade, mais rien ne parvenait à s’accrocher à cette surface hostile lisse comme un miroir.

L’expédition a jeté l’ancre au milieu du fleuve et débarqué pour tourner d’autres images. L’une des séquences montrait une tempête tourbillonnant sur l’antique cité. La pluie cascadait du Chronolithe en torrents miniatures, petites chutes d’eau qui soulevaient des panaches de limon au fond du fleuve.

Les marchands sur les quais couvraient leurs stands de toiles goudronnées et de bâches en plastique avant de se réfugier dessous.

Plan de coupe sur un singe sauvage qui aboyait au ciel depuis un panneau publicitaire Exxon tombé à terre.

Les nuages s’ouvraient pour contourner le promontoire formé par l’énorme tête de Kuin.

Le soleil a émergé derrière l’horizon vert et projeté l’ombre du Chronolithe sur la cité, tel le style d’un gigantesque et lugubre cadran solaire.

Le reste ne m’apprenait rien. J’ai éteint le moniteur et suis allé me coucher.

 

Nous – le monde anglophone – avions à cette époque adopté un certain nombre de termes descriptifs pour les Chronolithes. Ainsi, un Chronolithe apparaissait ou arrivait… certains préféraient se poser, un peu comme pour une tornade à bout de force.

Le plus récent des Chronolithes était apparu (était arrivé, s’était posé) plus de dix-huit mois auparavant en nivelant le front de mer de Macao. Six mois seulement plus tôt, un monument similaire avait détruit Taipei.

Comme les précédentes, ces deux pierres célébraient des victoires militaires situées environ vingt ans dans le futur. Vingt et trois : à peine la durée d’une vie, mais sans doute assez pour que Kuin (s’il existait, s’il était plus qu’un symbole arrangé ou une abstraction) masse ses forces en prévision de ses présumées conquêtes asiatiques. Assez pour qu’un jeune homme approche de la cinquantaine. Ou pour qu’une petite fille devienne une jeune femme.

Mais le monde n’avait pas connu la moindre arrivée de Chronolithe depuis plus d’un an, et certains d’entre nous avaient choisi de croire que la crise était, sinon complètement terminée, du moins exclusivement asiatique – confinée par la géographie, limitée par les océans.

Nos conversations publiques étaient distantes, détachées.

L’essentiel de la Chine méridionale se trouvait dans un état de chaos politique et militaire, un no man’s land dans lequel Kuin rassemblait peut-être déjà un noyau de partisans. Pourtant, le journal de la veille se demandait en éditorial si Kuin ne pourrait pas, à long terme, se révéler une force positive : un empire kuiniste, même s’il y avait fort peu de chances qu’il prenne la forme d’une dictature bienveillante, restaurerait peut-être la stabilité dans une région dangereusement déstabilisée. L’année précédente, les dernières bribes de la bureaucratie pékinoise avaient tenté de détruire ce qu’on appelait le Kuin de Yichang à laide d’un engin nucléaire tactique. L’explosion avait provoqué la rupture d’un barrage ainsi qu’une inondation qui avait charrié de la boue radioactive jusque dans la mer de Chine orientale. Le régime de Kuin pourrait-il être pire que cela ?

Je n’avais pas d’opinion sur le sujet. Nous sifflions tous dans le cimetière, ces années-là, même ceux d’entre nous qui suivaient l’affaire, analysaient les Chronolithes (par date, heure, taille, conquête impliquée, etc.) afin d’avoir l’air de les comprendre. Mais je préférais éviter de jouer à ce jeu-là. Les Chronolithes avaient jeté leur ombre sur ma vie depuis que cela avait mal tourné avec Janice. Ils représentaient toutes les forces nuisibles et imprévisibles de ce monde. Il m’arrivait d’avoir une peur atroce d’eux, ce que je ne m’avouais qu’une fois sur deux.

En étais-je obsédé ? Annali le pensait.

J’ai essayé de dormir. D’un sommeil qui débrouille les fils noués[3], etc. D’un sommeil qui tue cette période étrange séparant minuit de l’aube.

Mais je n’ai même pas pu dormir aussi longtemps. Une heure avant le lever du soleil, le téléphone a sonné. J’aurais dû laisser le serveur prendre l’appel. Mais j’ai attrapé à tâtons le combiné, l’ai ouvert avec la peur au ventre – comme chaque fois que le téléphone sonne au milieu de la nuit – qu’il soit arrivé quelque chose à Kait. « Allô ?

— Scott, a dit une rude voix masculine. Scotty. »

J’ai eu un instant de panique en pensant à Hitch Paley. Hitch, avec qui je n’avais pas échangé un mot depuis 2021. Hitch Paley, surgi du passé comme un fantôme en colère.

Mais ce n’était pas lui.

C’était un autre fantôme.

J’ai écouté la respiration calme, la compression et l’expansion de l’air nocturne dans un soufflet flétri. « Papa ?

— Scotty, a-t-il dit comme s’il n’arrivait à prononcer que mon nom.

— Papa, tu as bu ? » J’ai eu assez de courtoisie pour éviter d’inclure le mot encore dans ma question.

« Non, a-t-il répondu avec colère. Non, je… Ah, et puis merde. C’est le genre de… le genre de traitement… eh bien, puisque c’est ça, putain, merde. »

Et il a raccroché.

Je suis sorti du lit.

J’ai regardé le soleil se lever sur les coopés, à l’est, les grandes exploitations agricoles collectives, notre rempart contre la famine. De la neige poudreuse s’était rassemblée dans les champs, d’un blanc étincelant entre les sillons vides de maïs.

 

Plus tard, ce jour-là, j’ai pris ma voiture pour aller frapper chez Annali.

Nous ne sortions plus ensemble depuis plus d’un an, mais étions toujours aimables l’un envers l’autre lorsque nous nous croisions au coin café ou à la cantine. Ces derniers temps, elle me portait un intérêt vaguement maternel, s’enquérant de ma santé comme si elle s’attendait à ce que quelque chose de terrible m’arrive dans les prochains jours. (Et peut-être était-ce arrivé, même si je continuais à bénéficier d’une santé de fer.)

Mais quand elle m’a trouvé devant sa porte, elle a été surprise. Et s’est nettement rembrunie.

Elle savait qu’on m’avait viré. Elle en savait peut-être même davantage.

C’était d’ailleurs pour cela que j’étais venu : je pensais qu’elle pourrait éventuellement m’aider à comprendre ce qu’il s’était passé.

« Scotty, a-t-elle dit. Hé, tu aurais pu prévenir.

— Je te dérange ? » Elle n’avait pas l’air occupée. Elle portait une ample jupe-culotte et un T-shirt jaune passé. Le genre de vêtements qu’on met pour nettoyer sa cuisine.

« Je sors dans quelques minutes. Je t’inviterais bien à entrer, mais je dois m’habiller et tout. Qu’est-ce que tu fais là ? »

Je me suis aperçu qu’en fait, elle avait peur de moi… ou qu’on la voie en ma compagnie.

« Scott ? » Elle a parcouru le couloir du regard. « Tu as des problèmes ?

— Pourquoi en aurais-je, Annali ?

— Eh bien… J’ai appris qu’on t’avait viré.

— Il y a combien de temps ?

— Pardon ?

— Depuis quand sais-tu qu’on va me virer ?

— Est-ce que c’était de notoriété publique, tu veux dire ? Non, Scott. Mon Dieu, ça aurait été vraiment humiliant. Non. Bien sûr, il y avait des bruits qui couraient…

— Quel genre de bruits ? »

Elle a froncé les sourcils et s’est mordu la lèvre. Un tic que je ne lui connaissais pas.

« Dans son domaine d’activité, Campion-Miller ne peut pas se permettre d’avoir des ennuis avec le gouvernement.

— Mais bordel, qu’est-ce que cela a à voir avec moi ?

— Ça ne sert à rien de crier, tu sais.

— Annali… Quels ennuis avec le gouvernement ?

— Pour tout dire, on m’a rapporté que certaines personnes se renseignaient sur toi. Des personnes style agents du gouvernement.

— La police ?

— Non… Tu as des démêlés avec la police ? Non, juste des types en costard. Le fisc, peut-être, j’en sais rien.

— N’importe quoi !

— Je ne fais que répéter ce que j’ai entendu dire, Scott. Ce n’est peut-être que des conneries. Je te jure que j’ignore complètement pourquoi on t’a renvoyé. Mais bon, il faut que C-M garde toutes ses autorisations en règle, vu la quantité de personnel technique qu’on envoie à l’étranger. Quand quelqu’un se pointe en posant des questions sur toi, ça peut mettre tout le monde en danger.

— Annali, je ne représente aucun risque pour la sécurité.

— Je le sais bien, Scott. » Elle n’en savait rien du tout. Elle évitait mon regard. « Promis, je suis sûre que c’est que des conneries. Mais il faut vraiment que je m’habille ». Elle a commencé à refermer la porte. « La prochaine fois, appelle, bon dieu ! »

Elle vivait au premier des trois étages d’un petit bâtiment en briques de l’ancien quartier d’Edina. Appartement 203. Je suis resté un certain temps à fixer le numéro sur la porte. Vingt et trois.

Je n’ai jamais revu Annali Kincaid. Il m’arrive de me demander ce qu’elle est devenue. De quelle manière elle a passé ces longues et difficiles années.

 

Je n’ai pas informé Janice de mon licenciement. Non que je cherchais encore à lui prouver quoi que ce soit. Mais peut-être que j’essayais de me prouver quelque chose à moi-même. Et j’essayais très probablement de prouver quelque chose à Kaitlin.

Non que Kait se souciait de la manière dont je gagnais ma vie. À dix ans, on est encore à un âge où les affaires des adultes semblent opaques et sans le moindre intérêt. Tout ce qu’elle savait, c’était que « j’allais au travail » et que cela me rapportait assez d’argent pour faire de moi un membre sinon riche, du moins respectable du monde des adultes. Ce qui me convenait tout à fait. J’aimais ce reflet de moi-même que je voyais parfois dans les yeux de Kait : stable. Prévisible. Voire ennuyeux.

Mais pas décevant.

Et certainement pas dangereux.

Je ne voulais pas que Kait (ni Janice, ni même Whit) sache qu’on m’avait viré… du moins pas tout de suite, pas tant que je n’aurais rien à ajouter à cette histoire. Une fin heureuse, ou ne serait-ce qu’un deuxième chapitre, une suite…

… qui est arrivée sous la forme d’un autre coup de fil inattendu.

Pas une fin heureuse, non. Pas une fin du tout. Et certainement pas heureuse.

 

Janice et Whit m’ont invité à dîner. Ils m’invitaient tous les trimestres, comme on épargne pour sa retraite ou on donne à une association caritative méritante.

Janice n’était plus une mère célibataire habitant une petite maison mitoyenne à loyer contrôlé. Elle s’était débarrassée de ce stigmate en épousant Whitman Delahunt, son superviseur au laboratoire biochimique où elle travaillait. Whit était un type ambitieux doté de solides capacités de gestion. Clarion Pharmaceuticals avait réussi à prospérer malgré la crise asiatique en fournissant les marchés occidentaux qui s’étaient retrouvés du jour au lendemain privés des imports biochimiques chinois ou taïwanais à prix cassés. (Whit qualifiait parfois les Chronolithes de « petite taxe divine », provoquant un sourire gêné chez Janice.) Je crois qu’il ne m’aimait pas beaucoup, mais il m’acceptait comme on accepte un cousin de la campagne, relié à Kaitlin par un inavouable et désagréable accident de paternité.

Je reconnais qu’il a fait son possible pour me mettre à l’aise, du moins ce soir-là. Il m’a ouvert la porte de sa maison à étage, découpant sa silhouette dans la chaude lumière jaune. Il a souri. Whit était l’un de ces grands types mous taillés comme un ours en peluche et à peu près aussi velus. Pas bel homme, mais avec ce physique que les femmes appellent « mignon ». Il avait dix ans de plus que Janice et commençait à se dégarnir, mais cela lui allait bien. Son sourire était expansif, quoique affecté, et ses dents d’une blancheur éclatante. J’étais presque sûr qu’il avait le meilleur dentiste, le meilleur cariotome radial et la meilleure voiture de tout le quartier. Je me suis demandé si Janice et Kaitlin avaient du mal à être la meilleure épouse et la meilleure fille.

« Entre donc, Scott ! s’est-il exclamé. Enlève tes bottes, réchauffe-toi près du feu. »

Nous avons mangé dans la vaste salle à manger, où des fenêtres à verre cathédrale de provenance distinguée vibraient dans leurs cadres. Kait a un peu parlé de l’école. (Elle avait quelques problèmes cette année-là, surtout en maths.) Whit a parlé avec bien plus d’enthousiasme de son travail. Janice, qui s’occupait toujours de synthèses de protéines plutôt routinières à Clarion, n’a pas parlé du tout du sien. Laisser Whit fanfaronner semblait lui convenir.

Kait a quitté la table la première et s’est précipitée dans une pièce adjacente où le marmonnement de la télévision servait de contrepoint au bruit du vent. Whit a sorti une carafe de brandy. Il nous a servis gauchement, comme un Occidental qui s’essaierait à la cérémonie japonaise du thé. Whit ne buvait pas beaucoup.

« J’ai bien peur d’avoir monopolisé la conversation, a-t-il dit. Et pour toi, Scott ? Comment va la vie ?

— « La fortune offre des biens inattendus. »

— Scotty cite encore un poème, a expliqué Janice.

— Je voulais dire qu’on m’avait proposé un boulot.

— Tu penses à quitter Campion-Miller ?

— Nos chemins se sont séparés il y a déjà une quinzaine de jours.

— Oh ! Une décision courageuse, Scott.

— Merci, Whit, mais cela n’en avait pas l’air à l’époque. »

Janice s’est montrée plus perspicace : « Et alors, tu travailles où, maintenant ?

— Eh bien, rien n’est fait, mais… tu te souviens de Sue Chopra ? »

Elle a froncé les sourcils, puis son regard s’est éclairé. « Ah oui ! À Cornell, c’est ça ? La jeune prof qui donnait ce cours loufoque aux première année ? »

Janice et moi nous étions connus à l’université. La première fois que je l’ai vue, elle traversait le labo de chimie avec un flacon d’aluminium-lithium à la main. Elle aurait pu nous tuer si elle l’avait lâché. Première règle d’une relation stable : ne pas lâcher ce foutu flacon.

C’est Janice qui m’avait présenté à Sulamith Chopra, une postdoc ridiculement grande et potelée dont la réputation croissait dans le département de physique. On avait chargé Sue (sans doute en punition d’une quelconque indiscrétion académique) d’un cours de deuxième année interdisciplinaire, du genre de ceux que l’on présente aux étudiants en anglais comme une unité de valeur scientifique et aux étudiants en sciences comme une UV d’anglais. Elle avait renversé la situation en rédigeant pour ce cours une présentation si intimidante qu’elle avait fait fuir tout le monde, à part quelques prétendus artistes naïfs ou informaticiens troublés. Et moi. La bonne surprise, c’est que Sue ne voyait pas l’intérêt de coller quelqu’un. Sa description de cours visait à décourager les parvenus. Tout ce qu’elle demandait au reste d’entre nous, c’était une conversation intéressante.

Ainsi « Métaphore et modelage de la réalité en littérature et en sciences physiques » était-il devenu une espèce de salon hebdomadaire, et le seul critère requis pour décrocher l’UV consistait-il à prouver qu’on avait lu le programme du cours de Sue et à pouvoir en discuter sans la barber. Pour obtenir la moyenne, il suffisait de lui demander de parler de ses sujets de recherche favoris (la géométrie Calabi-Yau, la différence entre les forces antérieures et contextuelles) : elle tenait alors le crachoir pendant vingt minutes et vous notait en fonction de la plausibilité de l’air captivé que vous aviez affiché.

Mais Sue était également quelqu’un avec qui on avait plaisir à déconner, aussi la plupart de ses cours devenaient-ils de longues sessions de déconnades. À la fin du semestre, je ne voyais plus en elle une excentrique mal sapée d’un mètre quatre-vingt-dix aux yeux globuleux, mais la femme drôle et férocement intelligente qu’elle était.

« Sue Chopra me propose du boulot », ai-je annoncé.

Janice s’est tournée vers Whit pour lui expliquer : « Une de nos profs à Cornell. Les journaux en ont parlé il n’y a pas longtemps, il me semble. »

Sans doute, mais on s’aventurait en terrain mouvant. « Elle appartient à un groupe de recherche financé sur fonds fédéraux. Elle a le bras assez long pour embaucher un assistant.

— Et c’est toi qu’elle est venue chercher ?

— Il doit y avoir une façon plus sympa de le dire, a fait observer Whit.

— Ne t’inquiète pas, Whit. Janice se demande ce qu’une universitaire du calibre de Sulamith Chopra peut bien vouloir d’un pisseur de code comme moi. La question est légitime.

— Et quelle est la réponse ? a demandé Janice.

— Je suppose qu’ils ont besoin d’un pisseur de code de plus.

— Tu lui avais dit que tu cherchais un boulot ?

— Eh bien, tu sais ce que c’est. On reste en contact. »

(Je saurais te retrouver en cas de besoin, Scotty, ne te fais pas de soucis)

« Ah bon », a dit Janice, sa manière de me faire comprendre qu’elle n’était pas dupe. Mais elle n’a pas insisté.

« Eh bien, c’est super, Scott, a estimé Whit. Les temps sont trop durs pour rester sans travail. Donc, c’est super. »

Nous n’avons plus abordé ce sujet avant la fin du repas, au moment où Whit s’est levé de table. Janice a attendu qu’il soit hors de portée de voix pour me demander : « Il y a une chose dont tu n’as pas parlé ? »

Il y en avait même plusieurs. J’en ai mentionné une. « Le poste est à Baltimore.

— Baltimore ?

— Baltimore, dans le Maryland.

— Tu veux dire que tu vas déménager à l’autre bout du pays ?

— Si on me donne ce boulot. Cela reste à faire.

— Mais tu n’as rien dit à Kaitlin.

— Non, pas encore. Je voulais t’en parler d’abord.

— Ah bon. Eh bien, que pourrais-je te répondre ? Je veux dire, c’est si soudain. La question est de savoir à quel point cela va bouleverser Kait. Mais je n’en sais rien. Sans vouloir te vexer, elle parle moins souvent de toi qu’avant.

— Je ne vais quand même pas disparaître de sa vie. On peut se rendre visite.

— Se rendre visite et élever un enfant, ce n’est pas la même chose, Scott. Une visite, c’est… c’est un truc d’oncle. Mais je ne sais pas. Ce n’est peut-être pas plus mal. Whit et elle s’entendent plutôt bien.

— Même si je n’habite plus dans le coin, je reste son père.

— Dans la mesure où tu l’as été un jour, oui, c’est vrai.

— Tu as l’air en colère.

— Non. Je me demande juste si je ne devrais pas l’être. »

 

Whit est redescendu et nous avons bavardé encore un peu, mais le vent a forci, de la neige dure a cogné aux fenêtres et Janice s’est inquiétée à voix haute des conditions de circulation. Aussi ai-je salué Whit et Janice avant d’attendre comme à l’accoutumée sur le seuil que Kait vienne me serrer dans ses bras pour me dire au revoir.

Elle s’est avancée dans le vestibule mais s’est immobilisée à quelques pas de moi, le regard furieux, la lèvre tremblante.

« Kaity, mon canard ? me suis-je étonné.

— Ne m’appelle pas comme ça. Je ne suis pas un bébé. » Alors j’ai compris. « Tu as écouté. »

Son handicap auditif ne l’empêchait pas d’écouter aux portes. Il l’avait peut-être même rendue plus discrète et plus curieuse.

« Hé, a-t-elle dit, ce n’est pas grave. Tu déménages dans une autre ville. C’est normal. »

Parmi tout ce que j’aurais pu dire, j’ai choisi ceci : « Ça ne se fait pas d’écouter les conversations des autres, Kaitlin.

— Ne me dis pas ce que j’ai à faire », a-t-elle répliqué. Puis elle s’est détournée et a couru dans sa chambre.

 

Les Chronolithes
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